A propos
Le Canal de Suez c’est quoi ?
(pas d'écluse)
Défis techniques
Le canal a été le catalyseur d’une révolution technique. Le creusement du canal a débuté de manière pharaonique, avec des corvées de milliers de fellahs, maniant la pelle et la pioche, pour s’achever à l’aide de monstres mécaniques mus par la vapeur.
C’est en Egypte, terre des pyramides et des temples que, pour la première fois dans le monde, sur une grande échelle, la machine a remplacé la peine des hommes.
Les défis de la géographie et de l'histoire
Mohammed-Saïd et Lesseps ont choisi le tracé direct mis au point par Linant Bey et Mougel Bey. Tracé rectiligne entre Méditerranée et Mer Rouge, mais tracé plus difficile car à travers un désert absolu.
L’isthme était totalement désertique : pas un point d’eau, pas une voie de communication, au sud un village de pêcheurs, au nord une côte marécageuse sans port, sans abris.
Il a fallu – première condition à toute vie – alimenter les chantiers en eau douce : l’eau du Nil a été conduite dans l’isthme.
Ensuite, un port au nord était indispensable, d’abord pour accueillir le matériel venu d’Europe, puis plus tard, pour abriter les navires transitant par le canal. Or la côte nord est marécageuse et n’offre aucun abri. Port-Saïd a été créé : ville, quais, chenal, rade, tout est né des marécages du Golfe de Péluse. En face, Port Fouad fut créé pour abriter les ateliers et magasins généraux et de nombreux logements.
L’Isthme n’a aucune population, où trouver des travailleurs qui creuseront le canal ? par les firmans, l’Egypte s’est engagée à fournir la main d’oeuvre nécessaire, et cela au moyen de la corvée. C’était, alors, en Egypte un mode classique d’exécution des travaux publics, il s’agissait d’un impôt en nature. Sur les chantiers du canal, les conditions de travail étaient plutôt en avance sur leur temps – le règlement des ouvriers de 1856 le prouve – les ouvriers étaient payés, logés, nourris. Il n’y a, d’ailleurs, jamais eu la moindre révolte, le moindre mouvement de protestation.
L’autre réponse aux défis de la géographie a été une réalisation, elle-même assez étonnante par sa modernité : la création à partir du néant du port de Port-SaÏd.
Des blocs naturels ont été employés pour assurer les enrochements sur lesquels devaient s’appuyer l’appontement de la future jetée. Ces blocs étaient transportés par la flotte d’une dizaine de navires depuis des carrières situées à l’ouest d’Alexandrie. Puis, en présence des difficultés et des lenteurs du transport, une méthode plus révolutionnaire a été adoptée à partir d’octobre 1863. Au lieu d’aller chercher des blocs de pierre, des blocs artificiels de béton ont été coulés sur place.
A Port-Saïd, la première immersion des blocs artificiels a eu lieu en août 1865. Les deux jetées (1 900 mètres et 2 200 mètres) ont été terminées en janvier 1869, elles ont exigé 250 000 mètres cubes de blocs.
Le défi politique et la relève de l'homme par la machine
Au lendemain de la suppression de la corvée, la situation paraissait dramatique. La machine à vapeur, utilisée sur une grande échelle, a permis de poursuivre les travaux.
Les hommes n’ont pas totalement disparu de ces chantiers. Là où la Compagnie employait 20 000 ouvriers, il en est resté 4 000 environ, tous volontaires.
Les ingénieurs
Les premiers ingénieurs, Adolphe Linant de Bellefonds et Eugène Mougel, sont à l’origine du projet de construction du canal à travers l’isthme (fonctionnaires du gouvernement égyptien), ils sont détachés auprès de la Compagnie. Voisin, ingénieur des Ponts, conduira les travaux jusqu’à leur terme.
Les entrepreneurs
Les travaux ont été divisés en secteurs et confiés à diverses entreprises. Le rôle des entrepreneurs a largement dépassé l’exécution des travaux. Ils ont contribué à la mise au point de machines révolutionnaires. Lesseps, s’il n’était pas ingénieur et n’entend pas intervenir dans les choix techniques, est omniprésent sur les chantiers et anime l’ensemble.
Les machines
Jusqu’en 1863, l’essentiel se fait à main d’homme « à la couffe » (la brouette est inconnue en Orient). En 1860, 50 000 pelles et pioches sont commandées en France. Ce n’est qu’à partir de 1863 que des machines véritablement révolutionnaires firent leur apparition sur les chantiers.
Historique
L’idée d’un canal reliant la Mer Rouge à la Mer Méditerranée était fort répandue, et ceci depuis très longtemps, mais jamais, sauf par Bonaparte, une liaison directe à travers l’isthme de Suez, n’avait été envisagée.
Une première réalisation d’un canal reliant le Nil au Lac Timsah remonterait à l’époque du Pharaon Sésostris 1er (vers 1960 avant J.C.), aucun vestige ne prouve la réalisation de ce projet, connu au travers des textes de Strabon. Le pharaon Néchao II fit creuser un nouveau canal (vers 600 avant J.C). Les travaux sont repris par Darius Ier (vers 510 avant J.C.). Ptolémée II Philadelphe (vers 260) lui donnera sa forme définitive. Abandonné et envahi par les sables, le canal ptolémaïque fut restauré sous le règne de Trajan (vers 100 après J.C.) et finira par péricliter. Vers 640 après J.C. Le Calife Omar fait rouvrir le canal. Vers 775 après J.C. Le Calife Al-Mansour pour des raisons d’ordre politique et militaire fit fermer le canal.
Pendant l’expédition d’Egypte, Bonaparte demande en 1799 à J.M. Le Père ingénieur en chef des Ponts et Chaussés de faire un relevé détaillé de l’isthme. Le Père conclut à tort à une différence de niveau d’environ 10 mètres entre la Mer Rouge à la Mer Méditerranée.
En 1846, les Saints-Simoniens (groupe adepte de la pensée de Claude Henri de Saint-Simon) fondent à l’initiative de leur chef Prosper Enfantin, une société d’études pour promouvoir le projet d’un canal empruntant le Nil pour relier la mer Méditerranée à la Mer Rouge.
Louis-Maurice Linant de Bellefonds brillant ingénieur français au service de l’Egypte, réalise en 1847 un dossier technique d’études sur la possibilité de percement de l’isthme.
Lorsque Lesseps arrive en Egypte en novembre 1854, il trouve un terrain déjà préparé sur le plan technique. Mais aucun de ses prédécesseurs n’avait eu les capacités politiques et la volonté qui étaient indispensables pour faire avancer le projet.
Le 30 novembre 1854, Mohamed-Saïd signe le firman qui lie les deux parties.
Le vice-roi d’Egypte est à l’époque le vassal du sultan de Turquie. Il estime donc nécessaire – et Lesseps est du même avis – d’obtenir l’approbation du sultan avant de commencer l’exécution. L’un et l’autre ne doutent pas que cet accord sera rapidement obtenu. Mais des difficultés de tous ordres vont surgir. Très tôt, l’opposition des britanniques se précise. Aussi le sultan, sur lequel l’ambassadeur d’Angleterre exerce une forte pression, s’abstient-il de toute réponse positive.
Après d’incessantes démarches et de nombreux voyages, Lesseps procède le 5 novembre 1858 à la constitution de la Compagnie Universelle du Canal Maritime de Suez, avec siège social à Alexandrie et siège administratif à Paris ; le vice-roi approuve les statuts. Une souscription pour la construction du canal de Suez est ouverte.
Le 25 avril 1859 Lesseps donne le premier coup de pioche.
Mais dès les premiers mois de travaux, surgissent des entraves de toutes sortes liées à la pression des anglais et des turcs. A un moment de crise particulièrement grave, en octobre 1859, Lesseps est obligé de recourir à l’ Empereur Napoléon III, qui le soutient sans grande conviction, pour ne pas heurter les anglaisl. Les travaux se poursuivent à un rythme ralenti.
A partir de 1863, la campagne anti-Lesseps s’accentue. Elle est alimentée par le Premier ministre du nouveau vice-roi Ismaïl, qui vient de succéder à SaÏd. A la demande du sultan, obéissant à l’Angleterre, la corvée est supprimée pour paralyser les travaux. Les polémiques s’estompent. Grâce aux ingénieurs, ont été inventées et construites, des machines à vapeur, des dragues, des excavatrices, toutes inventées pour le chantier. Le canal, commencé avec des pelles, des pioches et des couffins, se poursuit grâce à la vapeur.
Du 17 au 20 novembre 1869 le Canal de Suez est triomphalement inauguré en présence de l’Impératrice Eugénie et de la plupart des gouvernements européens.
A ce moment, les 44 % du capital de la Compagnie sont détenus par l’Egypte, qui statutairement, reçoit en outre 15 % des bénéfices du Canal, de sorte que 59 % des profits lui reviennent. Cette situation, qui faisait de la Compagnie une société d’économie mixte avant la lettre et consacrait un partage sans doute jamais réalisé à l’avantage du pays concédant, devait durer jusqu’en 1875.
En 1875, le khédive Ismaïl se trouve dans une situation financière déplorable. L’Angleterre, opposante du canal, en profita pour acquérir presque clandestinement les 170 000 actions que le khédive était contraint de céder. Elle devient ainsi le principal actionnaire de la Compagnie du Canal de Suez.
En 1882, prenant prétexte de la révolte d’Arabi Pacha, les troupes britanniques débarquèrent à Alexandrie et occupèrent les points stratégiques du territoire égyptien, et d’abord le canal de Suez. Proclamant qu’elles venaient rétablir l’ordre puis se retireraient, c’est l’ordre britannique qui régna en Egypte et pour plus de 70 ans.
Au fur et à mesure que s’affirmait le sentiment national, le canal est apparu comme le symbole de la présence étrangère sur le sol égyptien. Faire entrer le canal dans son patrimoine, c’était rendre à l’Egypte cette partie d’elle-même qui lui avait échappée. Rien n’était possible tant que les fonctionnaires et les troupes britanniques étaient présents. En 1952, les officiers libres prirent le pouvoir : le roi Farouk abdiqua, l’évacuation de la zone du canal commença. Elle s’acheva en 1956.
Le 26 juillet 1956, le colonel Nasser annonça la nationalisation de la Compagnie Universelle du Canal Maritime de Suez. L’Egypte ayant l’intention d’utiliser les dividendes du fonctionnement du canal pour financer la construction du barrage d’Assouan. En novembre de la même année, débarquaient à Port-Saïd des troupes franco-anglaises tandis que l’Egypte bloquait le canal en coulant des navires. Ce dernier rouvrira en avril 1957.
A la suite de la guerre des Six-Jours en juin 1967, le canal restera fermé jusqu’en 1975, date à laquelle il est définitivement rendu à la navigation.
Depuis, l’Autorité du Canal de Suez, respectant la stricte neutralité de la voie d’eau, accueille les navires du monde entier.
A la suite de la guerre des Six-Jours en juin 1967, le canal restera fermé jusqu’en 1975, date à laquelle il est définitivement rendu à la navigation.
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